mardi 10 novembre 2015

Interview de Christine Voegel-Turenne

Docteur en génie chimique, Christine Voegel-Turenne est enseignante. Elle s'intéresse de près aux questions que soulèvent les avancées sociétales et les nouvelles biotechnologies. Son second roman, Louis ou la fabrique d'un drôle de genre, vient de paraître à nos éditions.

Dans cette interview, elle nous en dit plus sur ce qui l'a poussée à écrire ce livre, et les messages qu'elle veut faire passer :

Dans un style très alerte et plein d’humour, votre roman d’anticipation met en scène une société où règnent le transhumanisme et la PMA. Pensez-vous qu’une telle société puisse advenir ?

Je prie pour que ce ne soit pas le cas. Car la société que j’imagine dans mon roman Louis ou la fabrique d’un drôle de genre a perdu le sens de l’humain, n’attachant d’importance qu’au bonheur individuel et égoïste, qui est un mélange de bien-être et de jouissance. L’autre n’est plus qu’un objet à utiliser ; mon corps lui-même doit être à mon service. Dans cette optique-là, le dérapage n’est pas loin. J’ai voulu pousser jusqu'au bout cette logique libertaire ; la PMA, la GPA, le concept de genre, l’euthanasie… sont vite dépassées pour laisser la place à d’autres « inventions » qui peuvent paraître à la fois absurdes et terribles. Pourtant, depuis que j’ai commencé à écrire ce roman, début 2013, un certain nombre de mes élucubrations sont devenues réalité… En fait, ce livre se veut un signal d’alarme — un parmi d’autres — pour éviter que cela n’advienne.


Louis, le héros, enfant de cette société, cherche ses origines. Est-il un archétype de la condition humaine ?

Oui, je crois que chacun de nous cherche plus ou moins ses origines. Regardez l’engouement pour la généalogie… Connaître mes ancêtres me dit quelque chose de ce que je suis. Cette recherche devient compliquée et douloureuse pour les enfants adoptés. Qu’en sera-t-il alors pour des gens conçus par PMA et GPA ? Je crois personnellement que cela pourra occasionner des manques profonds. Même si ces manques ne sont pas insurmontables, il s’agit d’une aggravation de la difficulté à vivre.


L'État dictatorial lutte contre la Ligue Émeraude. Cette Ligue, couleur verte, couleur de l’Espérance, est-elle la continuité de la Manif Pour Tous ?

C’en est en tout cas une proche cousine, mais ce roman n’ambitionne pas de décrire le devenir de La Manif Pour Tous ! J’espère que son avenir sera moins chahuté que celui de la ligue Émeraude ! Ses participants — les Émeraliens — ont eux aussi protesté, manifesté contre les évolutions sociétales. Mais pour les faire taire, le Régime — un gouvernement totalitaire quoique libertaire — ne lésine pas sur les moyens pour les diaboliser.
sté contre les évolutions sociétales. Mais pour les faire taire, le Régime — un gouvernement totalitaire quoique libertaire — ne lésine pas sur les moyens pour les diaboliser. La couleur verte, en plus de symboliser l’espérance, fait référence à l’écologie. Les Émeraliens se réclament d’une écologie intégrale, qui inclut la protection de la dignité humaine. Car la vie humaine est précieuse ; comme l’émeraude.


Il y a plusieurs choses exceptionnelles dans votre roman comme le fait de ne pas caricaturer vos personnages, même les promoteurs ou les utilisateurs de la PMA. Selon vous, ceux-ci sont-ils foncièrement pervers ou ne se rendent-ils pas compte de ce qu’ils font ?

« Heureux l’homme qui ne s’assied pas avec ceux qui ricanent », dit l'Écriture. Je crois que notre monde manque de bienveillance ; c’est pourquoi j’évite la caricature. Les lois se doivent d’être des garde-fous. Lorsqu'elles indiquent une voie de facilité, comment s’étonner que certains s’y engouffrent sans se poser de questions, puisque « c’est légal », donc ratifié par l’État? J’ai voulu montrer que même avec des personnages sympathiques et « sincères », on peut aboutir à des situations compliquées, voire dramatiques. Quant aux promoteurs de ces « évolutions sociétales », agissent-ils par idéologie, par calcul politicien, par naïveté ou avec un objectif inavoué, je ne me prononcerai pas là-dessus.


Votre style manie humour, dérision et questionnement profond. L’humour permet-il de faire « passer le message » ?

L’humour, c’est quelquefois un réflexe de survie pour éviter de sombrer dans le pessimisme et la désespérance. Ce sujet — la perte du sens de l’humain — n’est pas en lui-même très réjouissant. Pour l’aborder, j’ai choisi une certaine légèreté et de l’humour. De plus, pour susciter la réflexion, j’ai voulu mettre en scène cette « révolution sociétale ». Il existe de nombreux livres savants sur le sujet ; moi j’avais envie d’aborder le problème au niveau du citoyen moyen, de l’incarner à travers des personnages attachants, émouvants, agaçants parfois et loin d’être parfaits, mais dans lesquels on pourra se reconnaître. Je voulais un roman, où on rit, on grince des dents et on suit les héros dans leurs multiples aventures. Une fiction qui permet de toucher non seulement un public convaincu, mais aussi, je l’espère, un public plus large.


Pensez-vous créer un nouveau genre dans le roman d’anticipation – qui toujours évacue Dieu – en plaçant volontairement une réflexion spirituelle dans votre roman ?

Je n’irai pas jusqu'à parler de nouveau genre (rires). Disons que Louis ou la fabrique d’un drôle de genre est à la croisée de plusieurs genres littéraires. Tout comme mon premier roman, que les libraires ne savaient dans quel rayon classer ! Je crois qu’il est urgent que les chrétiens réinvestissent tous les domaines de la littérature, y compris la fiction.
Mon objectif premier n’était pas d’écrire un roman d’anticipation de plus. Si j’ai adopté ce genre, c’est parce qu’il permet de se projeter dans l’avenir, avec un certain recul pour évoquer les conséquences possibles de la voie empruntée aujourd'hui. Et si le principal défaut de cette voie est d’effacer la dimension transcendantale de l’homme, alors il est logique de faire intervenir une réflexion spirituelle. Louis, en pleine déprime, va être amené à se questionner sur le sens de la vie, aidé en cela par un personnage improbable, une sorte de vieux sage. Et si je n’étais pas le maître de ma vie mais seulement le bénéficiaire ? Et si le bonheur, c’était de me reconnaître créé, et de découvrir mon Créateur ?


En savoir plus sur l'ouvrage :

Louis ou la fabrique d'un drôle de genre

En l'an 240 de la Nouvelle Ère, grâce à l'avancée des biotechnologies, l'homme a réussi à soumettre la nature à ses désirs.
Louis, fabriqué comme le pur fruit de ces nouvelles normes, décide de partir à la recherche de ses origines et de son identité profonde...

Un roman d'anticipation haletant sur la condition humaine, le transhumanisme, la filiation et la quêtes des origines. Un récit sur une société utopique, achèvement des désirs de perfection de notre temps.

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