lundi 6 juin 2016

Le fils de Joseph au cinéma

Si l’affiche montrant un trio improbable monté sur un âne arpentant une grève normande vous a « interpellé », ou si vous n’êtes pas encore allé voir Le fils de Joseph, il est temps de vous précipiter dans une des quelques salles qui projettent le film. Ne perdez pas cette occasion de plonger au cœur d’un drame éternel transposé dans le quotidien banal d’un ado mal dans ses pompes.

Sensibilité et profondeur, Eugène Green nous livre avec ce film une expression délicate des ressorts les plus partagés de la nature et la destinée humaines. Il y a quelque chose d’une honnêteté foncière qui semble vouloir être transmise au spectateur par le regard de Vincent, l’enfant sans père. Vincent Dumarais, dans la recherche de son origine, est aussi à la recherche du sens de son existence. Avec les débris éparpillés de son hérédité bancale, il nous fait vivre sa recherche intérieure à travers des aventures colorées et pleines de rebondissements rocambolesques. Nous sommes dans le Paris d'aujourd'hui, puis dans la campagne normande. Mais le film est divisé en séquences ou tableaux qui se rapportent à des pages intemporelles de l’anthropologie biblique : le Sacrifice d’Abraham (auquel répond « le Sacrifice d’Isaac », qui n’est pas biblique mais plutôt un raccourci du meurtre du père de 1789 ou 1968), la fuite en Egypte, les Marchands du Temple, … On peut encore y voir d’autres tableaux évangéliques comme le Songe de Joseph, le Recouvrement au Temple, le Fils Prodigue et autres paraboles. Car Eugène Green a été dépassé par l’histoire qu’il a mise en scène. Ce scénario témoigne que la vie apparemment insignifiante de chacun, est une Histoire Sainte. Il témoigne du caractère sacré des liens humains de filiation, et de leur rédemption toujours possible comme par une loi de miséricorde lorsque ces liens sont abîmés ou bafoués.



Une certaine gravité transparaît d’ailleurs dans la forme, sans que l’œuvre n’en soit en rien didactique ou alourdie. Il y a un parti-pris chez Eugène Green : celui de rehausser les dialogues par une diction appuyée, une articulation parfaite et quelque peu formelle, où des liaisons supplémentaires sont faites entre les mots, leur donnant ainsi une sorte de visibilité « écrite » dans l’imaginaire. L’effet immédiat est de donner un grand poids aux protagonistes de l’histoire. On pense un peu au « théâtre rhapsodique » de Karol Wojtyla, où la mise en scène très sobre est au service de l’exaltation des paroles, provoquant un écho dans les profondeurs et un déploiement du sens. Mais l’avantage du « Fils de Joseph » sur « la Boutique de l’Orfèvre » est que cette histoire est beaucoup plus accessible à nos esprits. Elle ménage nos mentalités peu habituées à l’austérité et à la contemplation pure. Par cette valeur magnifiée de leurs paroles, les personnages acquièrent donc une stature qui confirme l’impression de noblesse qui se donne à voir à travers leurs aspirations et leurs sentiments. Or tous ne sont pas nobles ! Le personnage négatif est au contraire renforcé dans le mépris qu’il inspire. Cet « Oscar Pormenor » (dont le nom signifie « détail » en espagnol), ne s’encombre pas des détails – entendez les gêneurs qui l’entourent -, tout dédié à entretenir sa propre gloire et son seul plaisir. La dureté de cœur inaltérable de ce « pharisien » des temps modernes donne le vertige et contraste avec la justesse de ses interlocuteurs principaux. Mais une satire d’un certain milieu parisien de l’édition (!) est ainsi faite sans concessions, cela semble participer d’un défoulement.



Pourquoi aller voir ce film ? Pour la sensation de vérité qui se dégage de cette peinture de l’intériorité humaine, des rapports homme-femme et de la génération. Pour l’originalité du traitement de l’amour humain dans ses différentes composantes, sous l’angle spirituel et théologique. Et pourtant ce film n’est pas ouvertement chrétien. Il ne fait qu’emprunter des thèmes bibliques universaux. Le seul passage « religieux » pourrait concerner une séquence musicale dans une église. Comme Joseph et Vincent, on est alors sollicité à travers une pièce déclamatoire baroque, dans les fibres les plus profondes de l’être où le divin se laisse atteindre sans autre médiation que la musique et l’épopée. C’est ainsi que Le fils de Joseph nous ouvre au-delà de nous-mêmes, à une réflexion et une contemplation sur la grandeur de la vie. Il nous libère des réductionnismes habituels ou des rêves et chimères qui sont mis sous nos yeux bien souvent. Avec humour et légèreté, Eugène Green nous offre un film réaliste, sur l’homme et son éminente dignité.

MJM

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